Chronique de la vie quotidienne de celles et ceux qui ont animé le “territoire le plus riche, le plus grand et le plus vide de la planète”, AbitibiBoom fait une incursion dans le tourbillon de la vie clandestine de Rouyn en 1934. À cette époque, la ville est encore enivrée des vapeurs de la ruée vers l’or des années 1920 qui allait être à la source du peuplement de l’Abitibi.

En créant AbitibiBoom, la troupe Les Zybrides a d’abord voulu explorer une facette de l’histoire que l’histoire elle-même semble avoir oublié : la grève des mineurs de la Mine Noranda en 1934, appelée grève des “Fros”. Cet événement a bouleversé le profil ethnique des villes de Rouyn et de Noranda, contribuant à sa diversité. Dans les dernières heures de ces années folles, prospecteurs, aventuriers et travailleurs, après avoir été attisés par la fièvre de l’or, perdent peu à peu l’illusion de faire fortune. 

C’est donc sur cette toile de fond que se dessine la vie mouvementée de cinq personnages qui combattent farouchement pour survivre dans un pays où l’emprise industrielle gère les destinées. 

Des personnages au caractère bien trempé

Partagés entre l’amour et la misère, l’ignorance et la détermination, l’aventure et l’enracinement, les personnages de la pièce se retrouvent sous les auspices de la tenancière d’un hôtel chaleureux et charnel, dernier vestige de cette époque débridée. Sur une trame de développement de la ville, de revendications féministes, sociale et syndicalistes, on suit les aventures des six personnages au caractère bien trempé.

Un peu d’histoire

1923 – Le boom minier

Le développement minier de l’Abitibi-Témiscamingue a débuté vers 1910. La Noranda, qui devient dès 1927 la première mine productrice de la région, règne de manière absolue sur le district de Rouyn. En 1929, alors que la crise économique met un frein au développement minier qui s’amorce à peine, la Noranda demeure la seule entreprise minière à poursuivre ses activités. Avec la hausse du prix de l’or et le rush de Val d’Or, le développement minier redémarre définitivement vers 1934.

Une ville en chantier 

À l’été 1925, une vingtaine de chantiers en bois rond et quelques habitations en planches sont parsemés sur une superficie d’une dizaine d’acres, le long du lac Osisko. Les rues n’existent que sur plan. Les charretiers s’embourbent dans les ornières et se coincent entre les arbres tronqués. 

L’année suivante, la population a doublé et l’urbanisation se dessine dans l’anarchie. Rouyn est encore une ville archaïque où la lumière électrique, les services d’aqueduc et d’égout sont inexistants. La plupart des citoyens de Rouyn doivent aller puiser leur eau au lac Trémoy. Encore dans les années 1930, les rues de Rouyn sont enveloppées dans un nuage de poussière.

“Malgré tout, cette ville semble morte. C’est une ville étrange où les habitants sont destinés à passer leur vie sous terre, ne remontant que la nuit pour se reposer du bruit infernal qui secoue ses entrailles”.

1934 – La grève

Dans les années 1930, la mine Noranda emploie beaucoup d’étrangers et en particulier des gens d’Europe de l’Est. Travaillant dans des conditions épouvantables, les mineurs décident de faire grève pour améliorer leurs conditions. Leurs demandes sont simples : ventilation sous terre, plus de sécurité et meilleur salaire. À leurs revendications, le gérant de la Mine, M. Roscoe, répond par des grenades lacrymogènes (les premières dans l’histoire du Québec). Les Fros sont arrêtés et renvoyés chez eux. Ils sont alors remplacés par des canadiens français, des bûcherons pour la plupart. Sans le savoir, ces frenchies allaient couper le cou aux travailleurs qui cherchaient à obtenir des conditions de travail raisonnables.

En moins de vingt jours le pourcentage de canadiens français employés à la Noranda bondissait de 12% à 30% et le pourcentage de canadiens anglais passait de 27% à 35%. Les canadiens constituaient donc 65% de la main d’oeuvre le 1er juillet 1934, alors que le pourcentage des ouvriers d’origine étrangère avait chuté de 50% à 25%.

La seule amélioration que cette grève a apportée est la construction d’une drye (vestiaire) avec casiers pour chacun, un entrepôt à outils, une chambre de premiers soins et un comptoir pour shift-boss. La grande majorité des grévistes n’en ont pas profité puisqu’ils ont été congédiés en grand nombre. L’accueil chaleureux fait aux scabs (briseurs de grève) a été de courte durée et les travaux souterrains se continuèrent de la même façon, ou presque, qu’auparavant.

Les syndicats se heurtent aux compagnies minières

La première organisation syndicale de la région est la Mine Worker’s Union of Canada. Le syndicat, affilié à la centrale communiste Worker’s Unity League, s’implante à la mine Noranda au début de 1933 en organisant parmi les travailleurs un réseau de cellules. Il perce surtout parmi les mineurs de fond, en grande majorité des immigrants européens. Au printemps 1934, le syndicat peut compter sur 500 des 1400 à 1500 ouvriers de la Noranda. Les syndicats se heurtent à l’anti-syndicalisme intransigeant et à l’hostilité ouverte de la compagnie mais sont les seuls à se préoccuper véritablement des conditions de travail et de vie des ouvriers des régions minières…

Création collective ambitieuse

La troupe de théâtre Les Zybrides s’est donnée pour défi de traduire en musique et en humour cette période, somme toute tragique, et propose une incursion au coeur de ces années folles et difficiles où la joie de vivre est la seule arme pour affronter la crise. 

À partir d’août 1989 jusqu’à la première représentation le 4 août 1990, la production de la création collective AbitibiBoom met à contribution les efforts de cinq comédiennes et comédiens et d’une personne responsable de la mise en texte. En effet, la troupe Les Zybrides s’est adjointe les services d’un auteur en la personne de Michel St-Denis qui souligne le travail collectif de cette création. En plus de cela, la troupe a recours à deux musiciens professionnels, comédiens dans la pièce, pour assurer le côté musical de la production qui se veut une comédie musicale. 

En s’inspirant d’une chanson de Richard Desjardins, des journaux d’époque, de témoignages de pionnières et pionniers ainsi que de l’histoire officielle, cette comédie de moeurs nous entraîne dans l’ambiance des années 1930 à Rouyn-Noranda tout en rendant hommage aux travailleuses et travailleurs qui l’ont bâtie. 

Bienvenue chez Lady Luck ! 

Équipe de création

Direction de production : Raymonde Gauthier  

Mise en texte : Michel St-Denis

Mise en scène : Robert Daviau

Assistance à la mise en scène : Michel St-Denis 

Musique et arrangements : Steve Burman, Laurent Trudel 

Texte des chansons : Michel St-Denis 

Conception du décor : Louise Magnan 

Construction du décor : François Bordeleau 

Costumes : Céline Lemay

Son et éclairage : projecson

Recherche historique : les Zybrides 

Stage de voix : Hélène Morasse

Graphisme : Denis Chiasson

Secrétariat : Christine Dion

Tenue de livres : Jean Pierre Gagnon, Huguette Néron 

Rédaction du journal : Michel St-Denis 

Administration : les Zybrides 

Interprétation

Steve Burman : Bill 

Francine Labrie : Sarah Endel 

Lise Pichette : Marie Boisvert 

Barbara Poirier : Madame Eva 

Laurent Trudel : Baptiste St-Jean / le sergent 


Crédit photo

BAnQ Rouyn-Noranda (P227), fonds de François Ruph

Sources

BAnQ Rouyn-Noranda, P265, fonds de la troupe de théâtre “Les Zybrides”

“Le Klondike de Rouyn et les Dumulon”, Benoît-Beaudry Gourd

“En d’sour”, Rémi Jodoin 

“Dans le sommeil de nos os”, Evelyne Dumas 

“J’ai vu naître et grandir ces jumelles”, Albert Pelletier