Adelin Schweitzer est un artiste polymorphe à la croisée des chemins entre performances immersives, expérimentations audiovisuelles et nouvelles technologies. Il est venu spécialement de Marseille pour participer à la création numérique de Ma Noranda. Il nous présente #ALPHALOOP.

Peux-tu présenter ton projet #ALPHALOOP.  

#ALPHALOOP  est une performance transmédia déambulatoire dans l’espace public. Avec un casque de réalité virtuelle sur la tête, les spectateurs suivent deux personnages : Le Méta et Lui. Lui est un scientifique technochaman, incarné par Frédéric Seiché. Le Méta est une sorte d’assistant technologique-éminence grise, joué par moi.

L’oeuvre tire sa sève de recherches que j’ai effectuées, entre 2008 et 2013, pour un autre projet de déambulation urbaine. Celui-ci était en réalité altérée, appelé A Reality. J’avais mis au point une prothèse technologique qui permettait de modifier les perceptions visuelles et sonores des spectateurs. C’était donc une proposition artistique assez radicale dans la mesure où le spectacle est produit par le spectateur. Chaque expérience était alors unique et contextuelle.

Qu’entends-tu par « techno-chamanisme » ?

Je travaille sur la pratique «imaginée» du technochamanisme. Par contre, je ne prétends pas pouvoir soigner qui que ce soit. Mon intérêt se fait plutôt sentir envers le phénomène de ce retour au sacré. À force de vouloir rationaliser le monde et de suivre l’idéologie scientiste, on s’est rapidement aperçu que la vie n’est pas moins chaotique, moins précaire ou moins soumise à des aléas. Sans vouloir être alarmiste, après trois révolutions industrielles, nous sommes au bord du précipice. Les gens retournent donc naturellement vers tout ce qui est plus local, comme ceux qui sont revenus de Montréal pour vivre à Rouyn-Noranda. C’est comme revenir à l’essentiel, au communautaire et au commun. Le commun c’est le sacré, car si tu es le seul à le croire tout le monde s’en moque.

Quelles sont tes intentions artistiques avec #ALPHALOOP ? Pourquoi avoir choisi la réalité virtuelle et l’espace public pour ton projet?

Il s’agit d’un genre de cérémonie grandiloquente dans l’espace public. Alors, un petit groupe d’individus est convié à se désintoxiquer des technologies. Dans l’imaginaire, quand tu deviens un homme-machine, tu peux soulever des voitures, tu deviens plus efficace et plus rentable. Avec #Alphaloop, au contraire, tu es un bébé qui a besoin de tout réapprendre et qui vit une une sorte de renaissance corporelle.

Je crois fermement que l’espace public est le dernier espace de réalité commune qui nous reste. Pour moi, c’est un endroit important dans le questionnement du réel et du rôle de l’artiste. Il s’agit d’un lieu où je veux entrer en dialogue avec le public parce que le spectre est plus grand. D’ailleurs, il y a une diversité des personnes que je peux atteindre. Le rôle de l’artiste c’est aussi de rassembler les gens.

Tu dis quE #ALPHALOOP propose au public une désintoxication des technologies, mais tu utilises un dispositif de réalité virtuelle. Cela reviendrait donc à désintoxiquer la technologie par la technologie ? 

Tout à fait, c’est l’épine dorsale du projet. En réalité, c’est comme les vaccins. Tu t’injectes une petite dose contrôlée du mal pour permettre à ton organisme de le reconnaître et de le traiter. Cependant, la vaccination de la technologie c’est une utopie, car personne ne retournera en forêt planter des graines.

Il est également intéressant de dire que la forme choisie est beaucoup liée à son auteur. Le Méta et le Lui, c’est moi. C’est d’Adelin qu’on parle. À travers cette fable technologique, je parle de ma détresse vis-à-vis de ma fascination / répulsion envers la technologie. Je suis terrorisé face à la modification du rapport au monde que cela apporte. En effet, ça apporte l’enfermement du monde dans des logiques à courte distance, au délitement de l’information, etc. Pire que tout, c’est la destruction de ce qui fait que l’être humain a survécu : le commun et la coopération. Ce n’est pas la technologie en soi qui est responsable, mais la manière dont on l’utilise, dont on nous la vend et dont on nous la fait consommer.

Qu’est-ce que ton passage en Abitibi -Témiscamingue et à Rouyn Noranda a apporté à ton projet? Comment t’es-tu inscrit dans le territoire ? Quels liens as-tu tissés ?

Je suis arrivée au Québec avec un rapport assez opportuniste. Mes deux objectifs étaient de réaliser une résidence d’écriture avec La Chambre blanche (Québec) et pour travailler sur Ma Noranda. Par la suite, j’ai tiré les ficelles. Je connaissais la présence des Autochtones sur le territoire. Donc, il y avait des possibles rencontres que je pouvais faire, notamment autour de la pratique du chamanisme. Mon but n’était pas de raconter l’histoire des Indiens d’Amérique. En effet, je voulais voir le chamanisme sous l’angle de la technique qui vise à rationaliser le chaos de l’existence.

Après deux mois passés ici, il a été très difficile de rencontrer des autochtones acceptant de me parler du chamanisme, et pour des raisons auxquelles je n’avais pas pensé. La pratique de la magie, même chez les anciens, est taboue et cachée. En effet, lorsque le missionnaire est arrivé, il a dit qu’il fallait choisir le bon dieu. Il y a effectivement plusieurs couches d’effacement, voire de secret, autour de cette pratique.

Dans le cadre de ma résidence d’écriture, j’ai pu, grâce à l’UQAT et au prêt d’une caméra 360°, faire des captations vidéos et sonores destinées à intégrer le résultat final d’un projet qui figure, pour moi, l’Éden.

#ALPHALOOP, comme dans le théâtre, avait besoin d’une « back story ». Avec Frédéric, le Meta, nous sommes partis avec un principe d’un épisode de cinq minutes. Pendant cet épisode, le spectateur découvre la petite vie de Méta et de Lui. Un épisode 0 fût tourné à Marseille et trois l’ont été ici. Les deux premiers ont pour thème le Méta et le Lui. Puis, le troisième accueille un personnage bien particulier incarné par Alexandre Castonguay, le Trappeur Philosophe.

Qui est ce personnage du Trappeur Philosophe ?

Dans la figure du trappeur, je trouve le point de liaison entre Autochtones et Allochtones, ainsi que ce qu’il y a de plus positif dans l’arrivée de l’homme blanc en ces territoires. Il représente aussi l’allégorie de ce que devrait être, selon moi, le post humain. Quelqu’un qui est capable de garder son temps, issu de la nature d’où il vient, et en même temps, capable de vivre en harmonie avec la technique. Autrement dit, l’Homme capable de vivre avec son environnement naturel et technologique. Donc, ce n’est pas vraiment le cas de beaucoup de gens aujourd’hui, moi le premier.

Pourquoi le nom de #ALPHALOOP ?

Il y a deux raisons à la naissance de #ALPHALOOP. La première est une photo de Mark Zuckerberg, prise lors d’une convention en 2013, au moment où Facebook rachète l’entreprise de VR Occulus. On le voit descendre l’allée de l’amphithéâtre, tout sourire, devant l’entièreté du public. Le public comprend environ 1500 personnes casqués.

La deuxième raison est l’article d’un enseignant-chercheur de l’université de Nantes (France) qui a écrit sur son blogue, un court essai sur sa perception de ce que va devenir la réalité augmentée. Il prend comme point de départ le jeu Pokémon Go, 45 ans après sa sortie. L’enseignant-chercheur décrit une société imaginaire où l’espace d’hyperréalité virtuelle est omniprésent. Il imagine un moteur de recherche, appelé Alphaloop, qui traite de l’indexation de l’hyper réalité.