Texte rédigé par Jean-Ambroise Vesac, artiste associé de la saison automne - hiver.

À moi-même :

Je touche mes mains. Je vérifie que tout va bien. Que je ne suis pas complètement mélangé ! La nuit a été longue. Toute la tête haute-perchée sur des lignes de codes. Mon orgueil veut que cela marche ! Je regarde l’écran entre mes paupières à 90 Hz. Dessus, un univers qui se construit. Mon territoire. Mon escape. Comme un rêve éveillé que l’on peut revivre à l’envi. Je suis dedans. Enfin, mon avatar. Un corps entre les deux sexes, qui ne cherche pas à me ressembler. Juste à me figurer. Une esquisse sans trop de lumière. Ce n’est pas une photo, juste une surface qui réfléchit. La peau de mon corps virtuel qui m’aide à inventer qui je suis. Dans mon imagination, des mouvements inconnus rencontrent des fonctions. Rien n’est vraiment terminé. L’interaction se négocie. Qu’est-ce que je partage ? Qu’est-ce que j’ose dire pour vrai ? La poésie et les significations cachées sont dans le tissu même de la création d’un monde virtuel, avec l’espoir que la vue sera partagée. Fréquentée au moins. L’habitude me rappelle que je dois aller courir. Pas seulement pour se donner une raison de fuir la réalité, mais pour faire battre le cœur et garder le contrôle de mon corps, qui parfois se fait oublier pour changer à mon insu. Mon avatar ne me ressemble pas et c’est pour cela que je me reconnais en lui. Un corps hybride à la rencontre du rêve et des technologies.

Aux autres :

Le corps se vit, se ressent.  Être dans son corps est l’expression de la première personne du singulier. JE. Bien que parfois il se laisse oublier, qu’on l’ignore ou qu’on l’abuse, le corps relie la conscience et le monde. Une infinité de lignes se rejoignent et construisent l’individu tel un hub, un carrefour d’influences. Les flux d’informations et de sensations qui circulent à haute tension amènent l’existence humaine dans les entrelacements de la réalité concrète et numérique. Nos expériences sont plus riches, plus immersives, interconnectées, festives! Notre vie change, le monde change et notre corps aussi. Grâce à l’interactivité des dispositifs, jeux, mondes virtuels et même du télétravail, nos manières de faire et d’être s’adaptent. S’améliorent. Sans précédent, Humanité numérique s’éveille et nous transporte, nous transforme. Nous intégrons de nouveaux imaginaires et coexistons sur des dimensions virtuelles inédites. La superposition des existences virtuelles et concrètes est une expérience du corps hybride. Un état dans lequel les frontières et les définitions sont floues : chair-technologie, action-réaction, décider-accepter, ici et là. À ce moment, le corps hybridé réunit un ensemble hétéroclite de sensations, d’images et de systèmes qui ressemble à une expérience à la troisième personne du pluriel. Un « nous » qui accepte de s’ouvrir à l’autre : nous + autre = n(au)s. Le corps hybride est un thème de création extraordinaire qui vous surprendra.

Corps h(y)brides

Le « corps hybride » appartient à une vision relativement nouvelle de nos relations aux technologies. À son origine, le mot hybride signifie sang mêlé, tel le résultat du croisement d’espèces différentes, par exemple de fruits ou d’animaux. Le « y » dans le mot passe presque inaperçu. Vestige inchangé d’une pensée dépassée, il ajoute une connotation négative, monstrueuse, hors nature aux métissages des espèces et au dépassement des catégories qui en résulte. Est-ce la même peur d’un croisement contre nature qui nous assaille face à notre hybridation avec le numérique? Le corps hybride numérique doit-il nous faire peur? Trop souvent, les imaginaires médiatiques diffusent une vision dystopique de l’avenir : l’asservissement de l’homme par la technologie, le robot tueur ou le classique Frankenstein! On se retient. Notre corps se crampe devant la dilution annoncée de sa personnalité par l’algorithme. Pourtant, notre harmonieuse coexistence avec les machines est plus que nécessaire dans le contexte sombre actuel. Il y a actuellement, comme le souligne Ruha Benjamin, une urgence à réinventer une vision du futur de l’Humanité, qui respecte l’environnement naturel et redistribue les cartes d’un vivre-ensemble inclusif et engagé. Le « corps hybride » est à la fois le résultat et l’expression de ce projet, car il est un médium de transcendance. En effet, par sa vue globale, le numérique nous offre la possibilité de prendre conscience de « l’agglomération de choses » qui constitue notre être. Il exprime les sensations, les vertiges et les rêves qui nous traversent. Mais avant tout, le « corps hybride » est un thème de création qui brasse les idées reçues pour surprendre et créer différemment. C’est l’expérience d’un devenir numérique au travers duquel on accède aux autres.