Nous renonçons à l’exil puisque nous croyons que chaque territoire a sa parole et c’est ce qui nous lie.
– Lise Pichette
Née en 1952, Lise Pichette nous a malheureusement quitté·es en 2014. Artiste interprète aussi engagée que talentueuse, elle a grandement contribué au développement du milieu culturel et à la vitalité artistique de Rouyn-Noranda et de ses alentours. Son amour pour le théâtre se manifeste dès son plus jeune âge. À l’époque, les troupes professionnelles sont inexistantes en région et le théâtre émane principalement du milieu scolaire et du milieu religieux. Mais en 1971, appuyé financièrement par le Cégep et la Ville de Rouyn, le Centre Dramatique de Rouyn est créé. Lise Pichette en sera l’une des membres les plus talentueuses.
Je l’ai remarquée la première fois lors d’un festival annuel du jeune théâtre amateur québécois. Elles étaient trois amies inséparables, toutes trois vêtues du costume d’étudiante : jupe marine, blouse blanche, bas blancs et chaussures de marche. Elles avaient l’air si sages et si bien élevées que je les ai baptisées Les petites filles modèles (titre de la Comtesse de Ségur) : Lise, Claire et Michèle.
– Jeanne-Mance Delisle
Frappée par sa sensibilité sur scène et sa justesse d’interprétation, l’auteure abitibienne lui propose, quelques années plus tard, le rôle de la Mère dans sa première pièce, Un reel ben beau, ben triste. Cette pièce, à l’histoire tragique, s’inspire du vécu d’une famille que connaissait bien l’auteure et décrit une réalité malheureuse de l’époque.
Elle a créé, dans la pièce théâtrale Un Reel ben beau, ben triste, une mère émouvante et d’une tragique authenticité. Avec une réelle empathie pour cette femme que nous avions rencontrée, Lise en avait saisi avec intelligence tout le drame profond et cette dignité dans la souffrance qu’elle-même a démontrée avant son grand départ.
– Jeanne-Mance Delisle
C’est après être montée sur scène dans la peau du personnage de Laurette, la mère dans la pièce, que Lise tombe littéralement en amour avec le théâtre. C’est une révélation et le début d’un long parcours de théâtre.
Quand j’ai réalisé que j’avais du talent là-dedans, c’est comme si j’avais trouvé ma place.
– Lise Pichette
En plus de 35 ans de carrière, Lise Pichette a joué du Jeanne-Mance Delisle, du Michel Tremblay, du Robert Gurik et bien d’autres. Comédienne qui pouvait jouer, comme elle se plaisait à le dire elle-même : “la tragédie avec des accents de vérité et la comédie avec simplicité”, elle s’est lancée, en plus de l’interprétation, dans l’écriture et notamment dans la création collective. Avec la troupe Les Zybrides, dont elle est l’une des cofondatrices, elle participe à la création de “Dernier Cri”, de la “Grande Cadence”, de “Les Zombres de la Zone Z” mais aussi de la comédie-musicale “Abitibi Boom”, dans laquelle elle a grandement ému le public avec le rôle de “Marie”, une servante naïve et pure. Sans grande connaissance ou culture théâtrale, leurs premières créations sont faites avec beaucoup d’instinct. Mais c’est une ignorance qui leur a servi puisqu’elle les a forcé·es à chercher dans leurs propres valeurs et à faire du théâtre à leur façon.
Outre le théâtre, Lise Pichette s’est lancé d’autres défis artistiques comme l’improvisation, la mise en scène, la radio, le chant, la télévision ou encore le cinéma. Elle a d’ailleurs interprété un rôle dans le film l’Hiver Bleu réalisé par André Blanchard et produit par Marguerite Duparc, aux côtés de Christiane Lévesque et Nicole Scant.
Grande contributrice à la culture rouyn-norandienne
Véritable pilier dans ce qu’on pourrait appeler la première génération de théâtre témiscabitibien, Lise Pichette a généreusement contribué à la fondation de plusieurs infrastructures liées au théâtre. Elle le dit elle-même, quand elle commence à faire du théâtre, c’est par plaisir, c’est un trip de gang. Mais cette gang comme elle dit, unie et impliquée est prête à relever des défis plus fous les uns que les autres ! En 1982, Lise participe à la création du Cabaret de la Dernière Chance, à la création de la troupe Les Zybrides en 1988 et à d’autres organismes comme Parallèle 48 ou Circuit.
Après l’ouverture du Cabaret de la Dernière Chance, les Zybrides répètent et créent au sous-sol et se produisent en spectacle au rez-de-chaussée. “Ça a été une de nos aventures les plus fantastiques”. La formule restaurant-bar-spectacles fonctionne bien pendant quelques années puis la partie restauration finit par prendre trop de place. Les Zybrides quittent le Cabaret pour se vouer à leur art et louent, aux vétérans de la guerre, un emplacement en haut du Canadian Corps dans la rue voisine. En 2001, l’opportunité d’acheter le bâtiment se présente et la troupe saute sur l’occasion. Le Petit Théâtre du Vieux Noranda est fondé le 11 novembre 2001 par Alice Pomerleau et Lise Pichette qui en devient directrice artistique.
C’est en 2005 que je viens donner un petit coup de main à Lise, « un an pas plus ». Sauver et rénover le Petit Théâtre m’a permis de la découvrir, mais surtout d’apprendre d’elle. Sa persévérance et ses convictions sont au cœur même du développement du Petit Théâtre.
– Rosalie Chartier-Lacombe
Lise Pichette, femme engagée
Quand on écoute parler Lise Pichette dans ses entrevues, on découvre une femme engagée, pleine d’humour et de tendresse et d’une grande profondeur. Politiquement active et militante pour de nombreuses causes, certains sujets lui tiennent particulièrement à cœur.
Elle est l’une des premières à revendiquer le droit de vivre de son art en région et à reconnaître la valeur du travail des artistes. Croyant fermement en l’enracinement de l’art au sein du territoire, Lise Pichette a pavé la voie à la remarquable vitalité artistique et culturelle de la région. Désireuses, avec Alice Pomerleau, de transmettre ce goût pour le théâtre, elles ont monté des ateliers pour les jeunes. Elle a ainsi contribué à la professionnalisation du théâtre en région et inspiré toute une génération de jeunes artistes. Femme de son temps, elle est aussi touchée par des sujets comme la violence faite aux femmes, le suicide chez les jeunes, le chômage, le décrochage scolaire, l’alcoolisme et la toxicomanie, la santé mentale, la pornographie, etc. Mais c’est la destruction de l’environnement et l’aveuglement volontaire dont fait preuve le gouvernement face aux dégâts écologiques causés par les mines qui la révoltent le plus. Amoureuse de la nature, elle entretient une relation intime, presque sensuelle avec elle. Quand elle entend parler pour la première fois d’écologie, vers 16-17 ans, elle est naïvement convaincue que c’est une affaire de quelques années avant que le problème soit réglé, tant les conséquences sont importantes. Pourtant, rien ne bouge.
Nous avons peu à peu été initié·es aux grandes batailles menées par Alice et Lise, celle de la valeur du travail des artistes, de leur droit de pratiquer leur art en région, celle de devoir faire émaner du territoire la parole des artistes.
– Rosalie Chartier-Lacombe
Lassé·es d’entendre “Ah c’est la mine”, pour expliquer et excuser ces ravages, Les Zybrides en font leur ligne de mire. Les Zombres de la Zone Z, la Grande Cadence ou encore le Requiem pour le Lac Osisko dénoncent, à leur manière, les décisions gouvernementales et sont un appel à la prise de conscience collective sur l’importance de ces sujets. Plusieurs décennies plus tard, ces problématiques sont toujours d’actualité et l’équipe du Petit Théâtre du Vieux Noranda s’inscrit dans cette continuité.
Femme de bon goût et de profondeur, femme aux valeurs d’une autre époque, celle où les choses prenaient le temps de se faire, Lise Pichette a marqué son temps et les magnifiques photo de François Ruph dépeignent une époque libre, pleine de joies et de fêtes.
Lise Pichette en quelques rôles
Sources :
BAnQ Rouyn-Noranda, P265, fonds de la troupe de théâtre “Les Zybrides”
Jeanne-Mance Delisle, Alexandre Castonguay et Rosalie Chartier Lacombe, “Hommage à Lise Pichette – femme de théâtre et de convictions”, L’indice Bohémien, 12 déc. 2014 [consulté le 7 janvier 2022]
Entrevue avec Lise Pichette, réalisée par Rosalie Chartier-Lacombe
Entrevue avec Lise Pichette et Alice Pomerleau
https://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/2952.html
Crédits Photo :
BAnQ Rouyn-Noranda (P227), fonds de François Ruph
BAnQ Rouyn-Noranda, (P265), fonds de la troupe de théâtre “Les Zybrides”