Le 14 novembre 2018, le galeriste Rock Lamothe a organisé une rencontre avec Karine Berthiaume.  Ils ont parlé de son processus de création, ses références, ses thèmes et son parcours. D’ailleurs, le public était invité à participer à cet échange. La rencontre était dans la galerie Rock Lamothe – Art contemporain, à Rouyn-Noranda, où étaient exposées les œuvres de l’artiste.

 

La démarche artistique

Après 6 ans à Montréal, où elle a suivi des cours de design graphique, Karine Berthiaume  ressent le besoin de revenir en Abitibi-Témiscamingue.  Notamment, elle souhaite retrouver le lien privilégié avec la terre, que nous avons en région. Ici, souligne l’artiste, nous sommes plus conscientisés à la nature et à ce qu’elle nous apporte.

Depuis maintenant 12 ans, la relation entre l’humain et la nature traverse l’ensemble du travail artistique de Karine. L’animal, par exemple, s’insinue régulièrement dans ses tableaux. C’est comme s’il voulait nous transmettre un message et nous prévenir de la préciosité de la nature.

D’ailleurs, lorsqu’elle peint et dessine, Karine cherche à se reconnecter avec la nature qui la rattache à plusieurs souvenirs d’enfance. Un jour, alors qu’elle lisait un article qui affirmait que si vous aviez de tels souvenirs, c’était parce que vous aviez 34 ans et plus. Alors, elle a réalisé que les nouvelles générations n’avaient plus ce même rapport à la nature. Sans vouloir paraître moralisatrice, l’artiste interpelle donc les gens concernant cet affaiblissement du contact. En effet, les jeunes explorent et connaissent moins la nature, ce qui entrave leur envie de la protéger.

Les tableaux de Karine Berthiaume sont ainsi des avertissements concernant la fragilité de la nature qu’il nous faut préserver à tout prix. Cette fragilité peut aussi se percevoir à travers la délicatesse du trait. Ainsi, elle amène une certaine douceur aux tableaux. Donc, elle n’accable pas le spectateur de la lourdeur et dela gravité du propos. Toutefois, la tristesse et l’inquiétude de l’artiste face à la réalité du monde transparaissent, dans la fragilité du trait.

 

Le processus de création

Pour concevoir ses tableaux, Karine Berthiaume s’inspire d’archives photographiques, historiques ou personnelles, en noir et blanc. Puis, elle reprend des positions de corps, des regards, des gestes, etc. Néanmoins, le cliché original est si remanié qu’il est impossible pour le spectateur, de pouvoir le retrouver dans l’œuvre finale.

Lorsqu’elle crée Karine n’épargne pas ses toiles. En effet, elle gratte, colle, brûle, de telle sorte qu’elle les abîmait régulièrement. Elle a alors choisi d’opter pour le bois. La durabilité et la texture lui permettent une plus grande liberté dans le traitement de ses tableaux, notamment lors des brulages.

Après les premiers traits de dessin, l’artiste utilise une torche de feu pour obtenir différents tons de bruns ou de noirs. L’usage du feu répond à l’image de la nature. En effet, il montre les prémices de la destruction et l’effacement des matières premières, et plus largement de l’environnement.

Au début de sa création, Karine ne connaît pas la direction vers laquelle elle s’en va. Elle connaît les contours, le message qu’elle veut transmettre, mais elle se laisse guider par les gestes, les erreurs, ainsi que par ses autres tableaux.

D’ailleurs, l’artiste peint de quatre à cinq toiles en même temps, permettant aux uns et aux autres de s’enrichir mutuellement. En peignant directement sur le bois, sans croquis préalable, «l’erreur» fait maintenant partie intégrante de son processus de création.

Pour Karine, un tableau est terminé lorsqu’on pense qu’il ne l’est pas tout à fait. À partir de là, si on continue, on va trop loin et on perd la spontanéité.

 

Les symboles

Dans les tableaux de Karine Berthiaume, plusieurs symboles sont récurrents.

Le double

L’univers de Karine BERTHIAUME regorge de corps qui se dédoublent, qui se fondent en un seul ou qui s’assemblent pour former une paire. L’artiste a conscience de l’omniprésence de cette dualité dans son œuvre. Elle se questionne d’ailleurs à ce sujet et se demande même si elle n’aurait pas eu une jumelle dans une autre vie.

Dans ses tableaux, la dualité représente les deux facettes présentes dans chaque chose, situation ou personnalité : le bien/le mal, la lumière/l’ombre, le noir/le blanc, etc. Ainsi, même s’il y en a deux, cela reste toujours une seule et même personne.

 

Le regard

Même absents ou cachés, les yeux des personnages pénètrent et englobent celui qui regarde le tableau. La force et l’intensité des regards des personnages traduisent la volonté de Karine de communiquer à travers eux et d’atteindre le spectateur.

 

L’enfance

L’enfant est souvent représenté dans les œuvres de KARINE BERTHIAUME. En effet, pour l’artiste, l’enfant est celui qui voit «clair», qui a conscience de plusieurs choses, même si c’est souvent sans le savoir. Il y aussi l’idée de la pureté et de la naïveté alors que l’enfant, encore vierge de la société, croit que tout est possible.

Ainsi, l’imaginaire et l’espoir d’un autre monde transparaissent dans certaines de ses œuvres. La présence de l’enfant amène également la question du legs et de la déception face à ce qu’on leur laisse en tant qu’adulte.

 

Le cercle

Le cercle se retrouve régulièrement dans les peintures de l’artiste, soit autour des têtes, soit au niveau du cœur. Sans de réelles connotations religieuses, le cercle fait référence à la Vierge-Marie et à l’auréole. La forme cyclique incarne également l’unicité et la perfection.

 

Coloriage

Enfant, Karine Berthiaume adorait colorier. Elle se fait alors un petit cocon, un  crayon à la main, et se laissait aller à l’imaginaire. Le cliché dont elle s’est inspiré pour Coloriage est d’ailleurs une photographie de Karine lorsqu’elle était enfant.

Beaucoup de symboles chers à l’artiste sont visibles dans le tableau. D’abord, la dualité et l’enfance. Le personnage représenté est un enfant au corps dédoublé, d’où jaillissent deux jets de traits multicolores qui se dirigent vers le haut/ciel et le bas/terre. L’enfant se retrouve comme tourmenté entre la tête et le cœur, mais à ses côtés, le chien-double le rassure et le connecte aux énergies terrestres.

Les traits se dirigeant vers le ciel relient le personnage à quelque chose de plus grand, d’intangible. Les couleurs renvoient également à l’imaginaire dans lequel l’enfant peut se réfugier, à l’instar de Karine avec le coloriage. Les yeux sont justement cachés par le jet de couleurs, comme si l’enfant se fermait les yeux pour ne pas voir la réalité, ou encore pour s’imaginer une réalité meilleure que celle léguée par les adultes. On associe effectivement l’enfance à la naïveté, à une période de la vie où tout nous semble encore possible.

À partir d’un cercle au niveau du cœur, des traits de couleurs se dirigent aussi vers le bas du tableau. L’enfant se retrouve ainsi connecté aux énergies terrestres, avec lesquelles il est le plus proche. L’arc-en-ciel de couleur contraste avec l’arrière-plan noir brut, traduisant toujours cette dualité chère à l’artiste. Tout comme la dualité, la nature traverse cette œuvre, avec notamment la présence du chien qui est rassurante et réconfortante pour l’enfant.

En fait, ce tableau c’est un peu mon histoire, termine par dire Karine Berthiaume.

Coloriage de Karine Berthiaume